Par inexécution, on entend tout manquement par une partie à l’une quelconque de ses obligations résultant du contrat, y compris l’exécution défectueuse ou tardive.
COMMENTAIRE
Le présent article définit l’“inexécution” au sens des Principes. Il convient de réserver une attention particulière aux deux éléments de la définition.
Le premier est que l’“inexécution” est définie de manière à inclure toutes formes d’inexécution défectueuse ainsi que le défaut complet d’exécution. Ainsi, il y a inexécution pour un constructeur si l’immeuble qu’il construit est en partie conforme au contrat et en partie non, ou s’il achève l’immeuble plus tard.
Le deuxième élément est que, au sens des Principes, le concept d’“inexécution” recouvre toute inexécution, qu’elle soit ou non imputable au débiteur.
Il peut y avoir exonération de responsabilité en cas d’inexécution du fait du comportement de l’autre partie au contrat (voir les articles 7.1.2 (Fait du créancier) et 7.1.3 (Exception d’inexécution) ainsi que les Commentaires) ou en raison d’événements externes inattendus (voir l’article 7.1.7 (Force majeure) et le Commentaire). Une partie ne peut pas demander des dommages-intérêts ou une exécution en nature en cas d’inexécution non imputable à l’autre partie, mais une partie qui n’a pas obtenu l’exécution d’une prestation aura en règle générale droit de mettre fin au contrat qu’il y ait ou non exonération en cas d’inexécution (voir les articles 7.3.1 et suiv. et les Commentaires).
Il n’y a pas de disposition générale traitant du cumul des moyens. L’hypothèse à la base des Principes est que l’on peut cumuler tous les moyens qui ne sont pas logiquement incompatibles. Ainsi, en général, une partie qui insiste avec succès pour obtenir l’exécution n’aura pas droit à des dommages-intérêts mais il n’y a aucune raison pour laquelle une partie ne pourrait pas mettre fin à un contrat pour inexécution imputable et demander en même temps des dommages-intérêts (voir les articles 7.2.5 (Changement de moyens), 7.3.5 (Effets de la résolution) et 7.4.1 (Droit aux dommages-intérêts)).
Une partie ne peut se prévaloir de l’inexécution par l’autre partie dans la mesure où l’inexécution est due à un acte ou à une omission de sa propre part ou encore à un événement dont elle a assumé le risque.
COMMENTAIRE
1. Inexécution due à un acte ou à une omission de la partie qui invoque l’inexécution
On peut considérer le présent article comme prévoyant deux types d’exonération de responsabilité en cas d’inexécution. Du point de vue conceptuel cependant, il va plus loin. Lorsque l’article s’applique, le comportement en question ne devient pas une inexécution non imputable mais il cesse d’être une inexécution. Il s’ensuit par exemple que l’autre partie ne pourra pas mettre fin au contrat pour cause d’inexécution.
Deux situations distinctes sont envisagées. En premier lieu, une partie n’est pas en mesure d’exécuter tout ou partie de ses prestations parce que l’autre partie a fait en sorte de rendre l’exécution totale ou partielle impossible.
Illustration
1. A accepte d’exécuter des travaux de construction sur un terrain de B le 1er février. Si B ferme à clé la porte d’accès et ne permet pas à A d’entrer, B ne peut pas se plaindre de ce que A n’a pas commencé les travaux. Le comportement de B équivaudra souvent à une inexécution non exonérée soit parce qu’il existe une disposition expresse permettant à A d’avoir accès au terrain soit parce que le comportement de B enfreint les obligations de bonne foi et de coopération. Ce résultat ne dépend cependant pas du fait que B est responsable de l’inexécution. Le résultat sera identique lorsque B est exonéré, par exemple parce que l’accès au terrain est barré par des grévistes.
Les Principes envisagent la possibilité que le fait du créancier ne constitue qu’un obstacle partiel à l’exécution par l’autre partie. Il faudra dans ces cas décider dans quelle mesure cette inexécution a été causée par ce fait et par d’autres facteurs.
2. Inexécution due à un événement dont la partie qui invoque l’inexécution a assumé le risque
Une autre possibilité est que l’inexécution résulte d’un événement dont le risque est expressément ou implicitement mis, par le contrat, à la charge de la partie qui invoque l’inexécution.
Illustration
2. A, entrepreneur, conclut un contrat de construction à exécuter sur des terrains de B sur lesquels B a déjà de nombreux bâtiments faisant l’objet d’une police d’assurance couvrant tout dommage aux immeubles. Si les parties conviennent que le risque de dommage accidentel doit incomber à B en tant qu’assuré, il n’y a normalement aucune raison de rejeter la répartition du risque telle que convenue entre les parties puisque les risques de ce type sont normalement couverts par l’assurance. Par conséquent, même si un incendie devait avoir lieu à cause de la négligence de A, le risque peut être supporté par B bien que, pour parvenir à ce résultat, la formulation devrait être plus explicite que si l’incendie qui a détruit l’immeuble n’est pas dû à la faute d’une des parties.
1) Une partie tenue d’exécuter sa prestation en même temps que l’autre partie peut en suspendre l’exécution tant que celle-ci n’a pas offert d’exécuter la sienne.
2) Une partie tenue d’exécuter sa prestation après l’autre partie peut en suspendre l’exécution tant que celle-ci n’a pas exécuté la sienne.
COMMENTAIRE
Cet article doit être lu avec l’article 6.1.4 (Ordre des prestations). Le présent article concerne les moyens et correspond en effet au concept de “droit civil” de l’exceptio non adimpleti contractus.
Illustration
A accepte de vendre à B mille tonnes de blé, dont le paiement doit être effectué par lettre de crédit confirmée ouverte sur une banque du pays X. A n’est pas obligé de transporter les marchandises tant que B n’a pas fait émettre la lettre de crédit conformément à ses obligations contractuelles.
Le texte ne traite pas de façon explicite la question qui se pose lorsqu’une partie exécute une partie de ses obligations mais non la totalité. Dans un tel cas, la partie qui a droit à l’exécution ne peut suspendre l’exécution de sa prestation que lorsque, dans des circonstances normales, une telle attitude est conforme à la bonne foi (voir l’article 1.7).
1) Le débiteur peut, à ses propres frais, prendre toute mesure destinée à corriger l’inexécution, pourvu que:
a) il donne, sans retard indu, notification de la mesure indiquant comment et à quel moment elle sera effectuée;
b) la mesure soit appropriée aux circonstances;
c) le créancier n’ait aucun intérêt légitime à la refuser; et
d) la mesure soit prise sans retard.
2) La notification de la résolution ne porte pas atteinte au droit à la correction.
3) Les droits du créancier qui sont incompatibles avec l’exécution des prestations du débiteur sont eux-mêmes suspendus par la notification effective de la correction jusqu’à l’expiration du délai prévu.
4) Le créancier peut suspendre l’exécu-tion de ses obligations tant que la correction n’a pas été effectuée.
5) Nonobstant la correction, le créancier conserve le droit à des dommages-intérêts pour le retard occasionné, de même que pour le préjudice causé ou qui n’a pu être empêché.
COMMENTAIRE
1. Principe général
Le paragraphe 1 du présent article prévoit que, lorsque certaines conditions sont remplies, le débiteur peut prendre des mesures destinées à corriger l’inexécution. En effet, s’il remplit ces conditions, le débiteur peut étendre le délai d’exécution pendant une brève période au-delà de celle prévue au contrat, à moins que l’exécution à un moment donné ne soit exigée par le contrat ou les circonstances. Le présent article favorise ainsi le maintien du contrat. Il reflète également la politique visant à réduire au minimum le gaspillage économique, politique qui inspire l’article 7.4.8 (Atténuation du préjudice), et le principe fondamental de la bonne foi posé à l’article 1.7. Le présent article est lié aux dispositions de correction figurant aux articles 37 et 48 de la CVIM et dans certaines législations nationales régissant les contrats et les ventes. Parmi les systèmes juri¬diques qui n’ont pas de règle semblable, il en est de nombreux qui tiendraient normalement compte d’une offre raisonnable de correction dans l’évaluation des dommages-intérêts.
2. Notification de la mesure de correction
La correction ne peut avoir lieu qu’après que le débiteur ait notifié la mesure. La notification doit être raisonnable pour ce qui est de sa date, son contenu et la façon dont elle sera effectuée. La notification doit être donnée sans retard indu après que le débiteur ait eu connaissance de l’inexécution. Si l’information est disponible, la notification doit indiquer comment la mesure doit être prise et quand. La notification doit également être communiquée au créancier de façon raisonnable eu égard aux circonstances.
La notification de la mesure est considérée comme “effective” lorsque les conditions des alinéas a) à c) du paragraphe 1 sont remplies.
3. Caractère approprié de la mesure de correction
La question de savoir si la mesure de correction est appropriée aux circonstances dépend de savoir s’il est raisonnable, étant donné la nature du contrat, de permettre au débiteur de faire une nouvelle tentative d’exécution. Comme cela est indiqué au paragraphe 2, la correction n’est pas affectée du seul fait que le défaut d’exécution est équivalent à une inexécution essentielle. Les éléments à prendre en considération pour la détermination du caractère approprié de la mesure de correction comprennent le fait de savoir si la mesure envisagée fait espérer une solution positive du problème et celui de savoir si le retard nécessaire ou probable pour effectuer la mesure de correction serait déraisonnable ou constituerait en lui-même une inexécution essentielle. Toutefois, le fait que le créancier change d’avis par la suite ne porte pas atteinte au droit à la correction. Si le débiteur donne notification effective de la correction, le droit du créancier de changer d’avis est suspendu. Néanmoins, la situation peut être différente si le créancier a changé d’avis avant d’avoir reçu la notification de la mesure de correction.
4. Intérêt du créancier
Le débiteur ne peut pas se corriger si le créancier peut démontrer un intérêt légitime à refuser la correction. Toutefois, si la notification de la correction est donnée comme il le faut et si la mesure est appropriée aux circonstances, on présume que le débiteur devrait pouvoir se corriger. Il peut y avoir par exemple intérêt légitime s’il est probable que le débiteur causera des dommages personnels ou matériels en essayant de se corriger. D’un autre côté, il n’y a pas d’intérêt légitime si, sur la base de l’inexécution, le créancier a simplement décidé qu’il ne souhaite pas poursuivre les relations contractuelles.
Illustration
1. A convient de construire une route sur un terrain de B. A l’achèvement des travaux, B découvre que la pente est plus raide que ne le permet le contrat. B découvre également qu’au cours de la construction les camions de A ont causé des dommages aux arbres de B. A notifie la correction visant à retracer la pente de la route. Même si la correction est par ailleurs appropriée aux circonstances, le désir de B d’empêcher d’autres dommages aux arbres peut constituer un intérêt légitime à refuser la correction.
5. Moment de la correction
La mesure de correction doit être prise sans retard après que la notification ait été donnée. Le temps est essentiel dans l’exercice du droit de correction. Le débiteur ne peut pas bloquer le créancier pendant un long délai d’attente. L’absence d’inconvénient pour le créancier ne justifie pas que le débiteur retarde la correction.
6. Formes adéquates de correction
La correction peut comprendre la réparation et le remplacement ainsi que toute autre activité qui remédie à l’inexécution et donne au créancier tout ce qu’il est en droit d’attendre du contrat. Les réparations ne constituent une mesure de correction que lorsqu’elles ne laissent aucune trace de l’inexécution précédente et ne constituent pas une menace pour la valeur ou la qualité de l’ensemble du produit. Il appartient aux tribunaux de déterminer combien de fois le débiteur peut essayer de corriger.
Illustration
2. A accepte d’installer une chaîne d’assemblage pour des peintures sur émail à haute température dans l’usine de B. Les moteurs sont installés avec trop peu de lubrifiant et ils se bloquent après quelques heures de fonctionnement. A remplace les moteurs dans les temps mais refuse d’examiner et de tester le reste du matériel pour s’assurer que d’autres parties de la chaîne n’ont pas été en¬dommagées. A n’a pas effectivement pris une mesure de correction.
7. Suspension des autres moyens
Lorsque le débiteur a notifié la correction de façon effective, le créancier peut, conformément au paragraphe 4, suspendre l’exécution de ses prestations mais, conformément au paragraphe 3, il ne peut exercer aucun moyen incompatible avec le droit de correction du débiteur jusqu’à ce qu’il soit clair qu’une mesure de correction adéquate et prise au bon moment n’a pas été effectuée ou ne le sera pas. Les moyens incompatibles comprennent la notification de la résolution et le fait de conclure des contrats de remplacement et de demander des dommages-intérêts ou la restitution.
8. Effets de la notification de la résolution
Si le créancier a légitimement mis fin au contrat conformément aux articles 7.3.1(1) et 7.3.2(1), les effets de la résolution (voir les articles 7.3.5, 7.3.6 et 7.3.7) sont également suspendus par la notification effective de la correction. Si l’inexécution est corrigée, la notification de la résolution est sans effet. D’un autre côté, la résolution produit effet si le délai pour la correction est expiré et qu’une inexécution essentielle n’a pas été corrigée.
9. Droit du créancier de demander des dommages-intérêts
En vertu du paragraphe 5 du présent article, le débiteur qui a procédé avec succès à la correction est néanmoins tenu du préjudice occasionné par l’inexécution avant la correction, ainsi que de tout préjudice supplémentaire causé par la correction ou de tout préjudice que la correction n’empêche pas. Le principe de réparation intégrale du préjudice subi, tel que prévu à l’article 7.4.2, est fondamental dans les Principes.
10. Obligations du créancier
La décision de se prévaloir du présent article appartient au débiteur. Dès lors que le créancier reçoit notification effective de la correction, il doit la permettre et, comme le prévoit l’article 5.1.3, collaborer avec le débiteur. Par exemple, le créancier doit permettre toute inspection raisonnablement nécessaire pour que le débiteur puisse effectuer la correction. Si le créancier refuse de permettre la correction lorsqu’on le lui demande, toute notification de résolution est sans effet. Par ailleurs, le créancier ne peut exercer aucun recours pour toute inexécution qui aurait pu être corrigée.
Illustration
3. A accepte de construire une remise sur le terrain de B pour protéger les machines de ce dernier des intempéries. Le toit est mal construit. Au cours d’un orage, l’eau coule dans la remise et les machines de B sont endommagées. B notifie la résolution du contrat. A notifie dans le temps imparti la correction. B ne souhaite pas traiter davantage avec A et refuse la correction. Si la correction est appropriée aux circonstances et si les autres conditions pour la correction sont réunies, B ne peut exercer aucun recours pour la construction défectueuse mais il peut obtenir réparation des dom¬mages causés aux machines avant que la mesure de correction ne soit effectuée. Si la correction n’est pas appropriée aux circonstances, ou si la correction proposée n’aurait pas réglé le problème, le contrat est résolu par la notification de B.
1) En cas d’inexécution, le créancier peut notifier au débiteur qu’il lui impartit un délai supplémentaire pour l’exécution de ses obligations.
2) Avant l’expiration de ce délai, le créancier peut suspendre l’exécution de ses obligations corrélatives et demander des dommages-intérêts, mais il ne peut se prévaloir d’aucun autre moyen. Le créancier peut, néanmoins, se prévaloir de tout autre moyen prévu au présent Chapitre lorsque le débiteur lui fait parvenir une notification l’informant qu’il ne s’acquittera pas de ses obligations dans le délai imparti ou lorsque, pendant ce délai supplémentaire, l’exécution correcte n’est pas intervenue.
3) Le créancier qui, dans sa notification, a imparti un délai supplémentaire d’une durée raisonnable peut, si le retard dans l’exécution ne constitue pas une inexécution essentielle, mettre fin au contrat à l’expiration de ce délai. Un délai supplémentaire d’une durée déraisonnable est porté à une durée raisonnable. Le créancier peut, dans sa notification, stipuler que l’inexécution des obligations dans le délai imparti mettra fin de plein droit au contrat.
4) Le paragraphe précédent ne s’applique pas lorsque l’inexécution est d’importance minime par rapport à l’ensemble des obligations du débiteur.
COMMENTAIRE
Le présent article traite la situation dans laquelle une partie est en retard dans l’exécution de ses prestations et l’autre partie souhaite lui accorder un délai d’exécution supplémentaire. Il s’inspire du concept allemand du Nachfrist bien que l’on aboutisse à des résultats analogues par des moyens conceptuels différents dans d’autres systèmes juridiques.
1. Caractéristiques particulières du retard dans l’exécution
Le présent article reconnaît que le retard dans l’exécution est très différent des autres formes d’exécution défectueuse. On ne peut jamais remédier à un retard dans l’exécution puisque le fait que la date d’exécution soit passée est irréversible, mais dans de nombreux cas néanmoins, la partie qui a droit à l’exécution préférera un retard dans l’exécution plutôt qu’aucune exécution. En second lieu, au moment où une partie n’exécute pas sa prestation dans le délai imparti, on ne sait souvent pas quel sera en fait le retard dans l’exécution. Par conséquent, l’intérêt commercial du créancier peut souvent être tel qu’une exécution raisonnablement rapide, bien que tardive, sera parfaitement acceptable mais non une exécution trop longtemps retardée. La procédure permet à cette partie d’impartir à l’autre partie une deuxième chance sans porter préjudice à ses autres moyens.
2. Effets de l’octroi d’un délai supplémentaire pour l’exécution
La partie qui impartit un délai supplémentaire ne peut pas mettre fin au contrat ni demander l’exécution en nature pendant ce délai. Le droit de recouvrer des dommages-intérêts du fait du retard dans l’exécution n’est pas affecté.
La situation à la fin du délai supplémentaire dépend de la question de savoir si le retard dans l’exécution constituait déjà une inexécution essentielle au moment où le délai supplémentaire a été imparti. Dans ce cas, si le contrat n’est pas complètement exécuté pendant le délai, le droit de mettre fin au contrat pour inexécution essentielle réapparaît simplement dès l’expiration du délai supplémentaire. D’un autre côté, si le retard dans l’exécution ne constituait pas une inexécution essentielle, on ne pourra mettre fin au contrat qu’à l’expiration du délai supplémentaire si le délai était d’une durée raisonnable.
Illustrations
1. A se met d’accord pour construire une carrosserie blindée spéciale pour la Mercedes de B. Le contrat prévoit que la carrosserie doit être terminée le 1er février pour que la voiture puisse être envoyée dans le pays de résidence de B. On a besoin de la voiture le 31 janvier mais elle n’est pas tout à fait terminée. A garantit à B qu’il pourra achever le travail s’il peut disposer d’une semaine supplémentaire et B accepte de la lui accorder. Si la voiture est terminée au courant de la semaine, B doit l’accepter mais peut demander des dommages-intérêts par exemple pour des frais supplémentaires de transport. Si le travail n’est pas achevé à la fin de la semaine, B peut refuser d’accepter la livraison et mettre fin au contrat.
2. A, société située dans le pays X, conclut un contrat avec B, société située dans le pays Y, en vue de la construction de 100 km d’autoroute dans le pays Y. Le contrat prévoit que l’autoroute sera terminée dans un délai de deux ans à compter du début des travaux. Après deux ans, A a en réalité construit 85 km et il est clair qu’il lui faudra encore au moins trois mois pour terminer l’autoroute. B notifie à A l’octroi d’un mois supplémentaire pour achever les travaux. B ne peut mettre fin au contrat à la fin de ce mois car ce délai n’est pas raisonnable; il sera porté à la durée raisonnable de trois mois.
Une partie ne peut se prévaloir d’une clause limitative ou exclusive de responsabilité en cas d’inexécution d’une obligation, ou lui permettant de fournir une prestation substantiellement différente de celle à laquelle peut raisonnablement s’attendre l’autre partie, si, eu égard au but du contrat, il serait manifestement inéquitable de le faire.
COMMENTAIRE
1. Nécessité d’une règle spéciale sur les clauses exonératoires
Les Principes ne contiennent pas de règle générale permettant au juge d’écarter les clauses abusives (“unconscionable”). En dehors du principe de bonne foi (voir l’article 1.7) qui peut exceptionnellement être invoqué à ce propos, il n’existe qu’une disposition permettant de mettre fin à tout moment à l’ensemble du contrat ou à chacune de ses clauses lorsqu’elles donnent de façon injustifiée un avantage excessif à une partie (voir l’article 3.2.7).
L’introduction d’une disposition spécifique sur les clauses exonératoires est motivée par le fait qu’elles sont particulièrement habituelles dans la pratique des contrats internationaux et qu’elles contribuent à susciter de nombreuses controverses entre les parties.
Le présent article a opté en définitive en faveur d’une règle attribuant au juge un large “pouvoir modérateur” fondé sur l’équité. Les clauses relatives aux conséquences de l’inexécution sont en principe valables, mais le juge peut écarter les clauses qui sont manifestement inéquitables.
2. “Clauses exonératoires” concernées
Au sens du présent article il s’agit tout d’abord des clauses qui limitent ou qui excluent directement la responsabilité du débiteur en cas d’inexécution. Ces clauses peuvent être exprimées de différentes façons (par exemple somme fixe, plafond, pourcentage de la prestation, arrhes conservées).
On considère également les clauses exonératoires comme celles qui permettent à une partie de fournir une prestation substantiellement différente de ce à quoi peut raisonnablement s’attendre l’autre partie. En pratique, cela concerne notamment les clauses qui ont pour objet ou pour effet de permettre au débiteur de modifier unilatéralement les caractéristiques de la prestation promise de façon à transformer le contrat. Il faut distinguer ces clauses de celles qui se contentent de définir les prestations auxquelles s’est engagé le débiteur.
Illustrations
1. Une agence de voyage propose un circuit avec séjour dans des hôtels de luxe, spécifiquement désignés, pour un prix élevé. Une clause prévoit que l’agence peut modifier les conditions d’héberge-ment en fonction des circonstances. Si elle loge ses clients dans des hôtels de deuxième catégorie, elle engage sa responsabilité en dépit de la clause, car les clients s’attendaient à être logés dans des hôtels de catégorie voisine à celle qui avait été promise.
2. Un hôtelier affiche qu’il est responsable des voitures laissées dans son garage, mais pas des objets qui s’y trouvent. Il ne s’agit pas d’une clause exonératoire au sens du présent article puisque son seul but est de définir la portée de l’obligation de l’hôtelier.
3. Clauses exonératoires et clauses de dédit
Il faut distinguer les clauses exonératoires des clauses de dédit qui permettent à une partie de se dégager d’un contrat moyennant paiement d’une indemnité. Dans la pratique cependant il en irait autrement si la clause de dédit était en réalité, dans l’intention des parties, une clause limitative de responsabilité déguisée.
4. Clauses exonératoires et indemnité établie au contrat
La clause d’un contrat prévoyant qu’une partie qui n’exécute pas sa prestation doit payer une certaine somme au créancier à raison de l’inexécution (voir l’article 7.4.13) peut aussi avoir pour effet de limiter la réparation due au créancier. Dans ce cas, le débiteur ne pourra pas se prévaloir de la clause en question si les conditions établies au présent article sont remplies.
Illustration
3. A conclut un contrat avec B pour la construction d’une usine. Le contrat contient une clause pénale prévoyant le paiement de 10.000 dollars australiens (AUD) par semaine de retard. L’ouvrage n’est pas terminé dans le délai fixé parce que A a délibérément suspendu les travaux pour un autre projet plus lucratif et pour lequel la pénalité de retard est plus élevée. Le préjudice réel subi par B du fait du retard s’élève à 20.000 AUD par semaine. A ne peut se prévaloir de la clause pénale et B peut demander la réparation intégrale du préjudice réel subi car l’application de cette clause serait, dans les circonstances, manifestement inéquitable du fait de l’inexécution délibérée de A.
5. Cas dans lesquels les clauses exonératoires seront écartées
Suivant l’approche adoptée dans la plupart des systèmes juridiques nationaux, le présent article part de l’hypothèse qu’en application de la doctrine de la liberté contractuelle (article 1.1) les clauses exonératoires sont en principe valables. Une partie ne peut cependant pas se prévaloir d’une telle clause s’il serait manifestement inéquitable de le faire.
Ce sera avant tout le cas lorsque la clause est inéquitable par elle-même, en ce que son application aboutirait à un déséquilibre évident des prestations des parties. Par ailleurs, il peut y avoir des circonstances dans lesquelles on ne pourrait se prévaloir d’une clause même si elle n’est pas inéquitable par elle-même: par exemple lorsque l’inexécution résulte d’un comportement manifestement négligent ou lorsque le créancier n’aurait pu obvier aux conséquences de la limitation ou de l’exclusion de responsabilité en souscrivant une assurance adéquate.
Dans tous les cas, il faut tenir compte du but du contrat et en particulier de ce qu’une partie pouvait légitimement espérer de l’exé-cution du contrat.
Illustrations
4. A, expert-comptable, s’engage à préparer les comptes de B. Le contrat contient une clause excluant toute responsabilité de A pour les conséquences d’une quelconque inexactitude dans son exécution du contrat. Suite à un erreur grave de A, B paie 100% d’impôts de plus qu’il ne devrait. A ne peut se prévaloir de la clause exonératoire qui est inéquitable par elle-même.
5. A, directeur d’entrepôts, a conclu un contrat avec B pour la surveillance de ses locaux. Le contrat contient une clause limitant la responsabilité de B. Des vols ont lieu dans les entrepôts causant un préjudice dont le montant dépasse la limitation. Bien que la clause passée entre deux professionnels ne soit pas inéquitable par elle-même, B ne peut pas s’en prévaloir si les vols ont été le fait des préposés de B dans l’exercice de leurs fonctions.
6. Conséquence de l’impossibilité de se prévaloir des clauses exo-nératoires
Si une partie ne peut se prévaloir d’une clause exonératoire, sa responsabilité reste intacte et le créancier peut obtenir la réparation intégrale pour l’inexécution. Contrairement à la règle posée pour l’indemnité établie au contrat pour inexécution à l’article 7.4.13, le tribunal n’a pas le pouvoir de modifier la clause exonératoire.
1) Est exonéré des conséquences de son inexécution le débiteur qui établit que celle-ci est due à un empêchement qui échappe à son contrôle et que l’on ne pouvait raisonnablement attendre de lui qu’il le prenne en considération au moment de la conclusion du contrat, qu’il le prévienne ou le surmonte ou qu’il en prévienne ou surmonte les conséquences.
2) Lorsque l’empêchement n’est que temporaire, l’exonération produit effet pendant un délai raisonnable en tenant compte des conséquences de l’empêchement sur l’exécution du contrat.
3) Le débiteur doit notifier au créancier l’existence de l’empêchement et les conséquences sur son aptitude à exécuter. Si la notification n’arrive pas à destination dans un délai raisonnable à partir du moment où il a eu, ou aurait dû avoir, connaissance de l’empêchement, le débiteur est tenu à des dommages-intérêts pour le préjudice résultant du défaut de réception.
4) Les dispositions du présent article n’empêchent pas les parties d’exercer leur droit de résoudre le contrat, de suspendre l’exécution de leurs obligations ou d’exiger les intérêts d’une somme échue.
COMMENTAIRE
1. Notion de force majeure
Le présent article couvre le domaine régi dans les systèmes de common law par les doctrines de la frustration et de l’impossibilité d’exécution et dans les systèmes de “droit civil” par les doctrines telles que la force majeure, l’Unmöglichkeit, etc. Il n’est cependant identique à aucune de ces doctrines. L’expression “force majeure” a été choisie parce que largement connue dans la pratique commerciale internationale, comme le confirme l’introduction de ce qu’on appelle les clauses de force majeure dans de nombreux contrats internationaux.
Illustration
1. A, constructeur dans le pays X, vend une centrale nucléaire à B, entreprise de service public dans le pays Y. En vertu des dispositions du contrat, A s’engage à fournir tous les besoins en uranium de la centrale pendant dix ans à un prix fixé pour cette période, exprimé en dollars US et payable à New York. Les événements distincts suivants surviennent:
(1) Cinq ans plus tard, la monnaie du pays Y se dévalue de 1% de sa valeur par rapport au dollar au moment de la conclusion du contrat. B n’est pas exonéré de sa responsabilité parce que les parties ont réparti le risque par les dispositions concernant le paiement.
(2) Cinq ans plus tard, le Gouvernement du pays Y impose un contrôle des changes qui empêche B de payer en une monnaie autre que celle du pays Y. B est exonéré du paiement en dollars US. A peut mettre fin au contrat de fourniture d’uranium.
(3) Cinq ans plus tard, le marché mondial de l’uranium est accaparé par un groupe de spéculateurs. Le prix de l’uranium sur le marché mondial s’élève à dix fois le chiffre prévu au contrat. A n’est pas exonéré de la livraison d’uranium parce qu’il s’agit d’un risque qui était prévisible lors de la conclusion du contrat.
2. Effets de la force majeure sur les droits et obligations des parties
L’article ne limite pas les droits de la partie qui n’a pas obtenu l’exécution du contrat d’y mettre fin si l’inexécution est essentielle. Son but, lorsqu’il s’applique, est d’exonérer le débiteur de responsabilité de la réparation des dommages.
Dans certains cas, l’empêchement rendra impossible toute exécution mais dans de nombreux autres il retardera simplement l’exécution et l’effet de l’article sera d’octroyer un délai supplémentaire pour l’exécution. Il convient de noter que, dans ce cas, le délai supplémen¬taire peut être plus (ou moins) long que la durée de l’interruption parce que la question cruciale sera de savoir quel est l’effet de l’interruption sur le déroulement du contrat.
Illustration
2. A conclut un contrat concernant la pose d’un gazoduc à travers le pays X. Les conditions climatiques sont telles qu’il est normalement impossible de travailler entre le 1er novembre et le 31 mars. La fin du contrat est prévue pour le 31 octobre mais le commencement des travaux est retardé d’un mois en raison d’une guerre civile dans un pays voisin qui rend impossible l’acheminement des conduites à temps. Si la conséquence est raisonnablement d’empêcher l’achèvement des travaux avant leur reprise au printemps suivant, A peut avoir droit à un délai supplémentaire de cinq mois même si le retard n’était que d’un mois.
3. Force majeure et hardship
L’article doit être lu avec le Chapitre 6, Section 2 des Principes traitant du hardship (voir le Commentaire 6 à l’article 6.2.2).
4. Force majeure et pratique contractuelle
La définition de la force majeure au paragraphe 1 du présent article revêt nécessairement un caractère assez général. Les contrats du commerce international contiennent souvent des dispositions beaucoup plus précises et élaborées à cet égard. Les parties peuvent par conséquent estimer qu’il est approprié d’adapter la teneur du présent article afin de prendre en considération les caractéristiques particulières de l’opération spécifique.