CHAPITRE 5 - SECTION 2

CHAPITRE 5 - CONTENU DU CONTRAT, DROITS DES TIERS ET OBLIGATIONS CONDITIONNELLES - SECTION 2: DROITS DES TIERS

1) Les parties (le “promettant” et le “stipulant”) peuvent, par un accord exprès ou tacite, conférer un droit à un tiers (le “bénéficiaire”).

2) L’existence et le contenu du droit que le bénéficiaire peut exercer à l’encontre du promettant sont déterminés par l’accord des parties et soumis aux conditions ou autres limitations prévues dans l’accord.

COMMENTAIRE

Les parties entendent habituellement les contrats comme créant des droits et des obligations entre elles. Dans ces cas, seules les parties acquièrent des droits et des obligations en vertu du contrat. Le seul fait qu’un tiers tirera un bénéfice de l’exécution du contrat ne donne pas en soi au tiers de droits en vertu du contrat.

Illustration

1. Le professeur A conclut un contrat avec l’Université du pays X en vertu duquel il consent à donner quarante-et-une heures de cours portant sur une comparaison entre le droit des contrats des pays X et Y. A ne donne que vingt heures de cours durant lesquels il ne mentionne jamais le droit du pays Y. L’étudiant T n’acquiert aucun droit en vertu du contrat conclu entre A et l’Université.

Les tiers ne restent, cependant, pas toujours dépourvus de droits. Le principe de base est celui de l’autonomie des parties qui devraient pouvoir conférer des droits à un tiers si elles le souhaitent. Les parties peuvent dire expressément que telle est leur intention, mais ce n’est pas essentiel puisque l’intention à l’égard du tiers peut être implicite dans le contrat. Lorsque l’intention implicite est invoquée, la décision dépendra de toutes les dispositions du contrat et des circonstances de l’espèce.

Voici des illustrations d’intention implicite.

Illustrations

2. A souscrit une police d’assurance sur son parc de camions que conduisent régulièrement ses employés. Le contrat prévoit que la compagnie d’assurance couvrira toute personne conduisant un camion avec le consentement de A. Un employé, T, a un accident alors qu’il conduit le camion. La responsabilité de T pour l’accident est couverte.

3. A vend son activité à B à condition que B verse à A 1.000 GBP par mois pour le reste de sa vie et qu’il verse à l’épouse de A, T, 500 GBP par mois au cas où A décèderait avant elle. B refuse de verser quoi que ce soit à T. T a droit à 500 GBP par mois.

4. A, la International World University, souhaite construire une nouvelle bibliothèque de droit sur un terrain appartenant à l’Université. Pour des motifs fiscaux légitimes, le contrat pour la construction de la bibliothèque est conclu par B, société appartenant entièrement à l’Université, bien que le contractant sache parfaitement que, une fois terminée, la bibliothèque sera occupée et utilisée par A. Le bâtiment est mal construit et il en coûtera 5.000.000 USD pour le terminer de façon satisfaisante. A peut récupérer le coût des travaux de réparation.

5. A, promoteur d’un centre commercial, conclut un contrat avec B, société de surveillance, pour garantir la sécurité du centre commercial. A et B savent tous deux que les magasins seront exploités par des locataires de A. Il a été dit à ces derniers que l’une des principales attractions du centre commercial serait le haut niveau de surveillance garanti par B. L’une des clauses du contrat entre A et B prévoit que tous les employés de B qui travaillent dans le centre commercial seront d’anciens policiers personnellement sélectionnés par le directeur général de B. En fait, la sélection est confiée à une société de consultants qui recrute plusieurs personnes non adaptées. Plusieurs vols ont lieu dans les magasins. Les locataires qui subissent des pertes auront des droits contractuels envers B.

Voici des illustrations dans lesquelles il n’y a pas d’intention implicite, à moins que les circonstances n’indiquent clairement le contraire.

Illustrations

6. A va chez un fourreur haut de gamme et décide d’acheter un manteau. A dit (avec sincérité) à l’employé qu’il achète le manteau pour T, l’épouse d’un chef d’Etat en visite. Le manteau porte sur le côté une étiquette très visible sur laquelle on peut lire “Cela ressemble à du vison, on dirait du vison au toucher, mais c’est de la fourrure synthétique”. A donne le manteau à T. En réalité, suite à une erreur du fourreur, le manteau est en vison véritable et T fait l’objet de critiques violentes de la part de protecteurs des animaux dans son pays. T ne peut faire valoir des droits contractuels.

7. A, société qui a une grande usine, conclut un contrat avec une société qui s’occupe du système d’évacuation des vidanges. En vertu du contrat, A peut décharger ses déchets dans l’égout, mais s’engage à ne pas décharger certains types de déchets. Contrairement à cet engagement, A décharge des déchets qui bloquent l’égout et entraînent des dommages pour T, autre utilisateur de l’égout. T ne peut faire valoir des droits contractuels.

8. A, société du pays X, vend des matériaux à B, société du pays Y. A sait que B envisage de revendre ces matériaux à T, société pharmaceutique du pays Z qui les utilise pour fabriquer un nouveau médicament en vertu d’un contrat qui limitera la responsabilité de B à l’égard de Y à 1.000.000 USD. Les matériaux sont défectueux et les pertes de T excèdent largement 1.000.000 USD. T ne peut faire valoir des droits contractuels contre A.

L’application de cet article se posera souvent dans le cadre d’une requête conjointe en responsabilité civile (associated claim in tort). Cette possibilité ne relève pas du champ d’application des Principes.

Il ressort du présent article qu’une déclaration expresse des parties selon laquelle elles n’entendent pas conférer de droits à un tiers produit des effets. Il s’ensuit aussi que le promettant et le stipulant ont un large pouvoir pour délimiter les droits en faveur du bénéficiaire. Dans ce contexte, le mot “droits” devrait être interprété largement. En principe, le tiers bénéficiaire jouira de tous les droits contractuels, y compris le droit à l’exécution et aux dommages-intérêts.

Le bénéficiaire doit être identifiable avec une certitude suffisante dans le contrat, mais il peut ne pas exister au moment de la conclusion du contrat.

COMMENTAIRE

Les parties peuvent souhaiter conclure un contrat dans lequel l’identité du tiers n’est pas connue au moment de la conclusion du contrat, mais avec un mécanisme par lequel le tiers sera identifié à l’échéance. Cela pourrait se faire en prévoyant que les parties, ou l’une d’elles, pourront identifier le bénéficiaire ultérieurement, ou en choisissant une définition du bénéficiaire que des circonstances ultérieures aideront à identifier de façon claire.

Illustrations

1. Un homme marié avec enfants, mais sans petits-enfants, conclut un contrat avec la compagnie d’assurance XYZ en vertu duquel A verse chaque mois 10 GBP à la compagnie d’assurance qui s’engage, elle, à verser 10.000 GBP à chacun de ses petits-enfants à son décès. Les petits-enfants nés après la date du contrat, mais avant le décès de A, auront chacun droit à 10.000 GBP.

2. La société A lance une offre publique d’achat de la société B, société dont les actions font l’objet de transactions sur les principales places boursières. B engage C, une importante société d’experts-comptables, pour préparer un rapport sur la société B à distribuer aux actionnaires. Le contrat entre B et C exige de C qu’il produise un rapport honnête, compétent et approfondi. Pour des raisons d’incompétence, C produit un rapport beaucoup trop favorable à B, à la suite de quoi la majorité des actionnaires rejette l’offre de A. Quelques actionnaires montrent des copies du rapport à des amis qui achètent des actions de B. Les anciens actionnaires peuvent acquérir des droits en vertu du contrat entre B et C, mais les nouveaux actionnaires ne le peuvent pas.

Les droits conférés au bénéficiaire comprennent celui d’invoquer une clause du contrat qui exclut ou limite la responsabilité du bénéficiaire.

COMMENTAIRE

Les dispositions conventionnelles qui limitent ou excluent la responsabilité de ceux qui ne sont pas parties au contrat sont très fréquentes, notamment, dans les contrats de transport où elles font partie d’un système d’assurance. L’exemple probablement le plus connu est celui que l’on appelle la clause Himalaya que l’on trouve fréquemment sous une certaine forme dans les connaissements. En général, l’autonomie des parties devrait être respectée dans ce domaine aussi.

Illustration

A, propriétaire de marchandises, conclut un contrat avec un transporteur maritime pour les transporter du pays X au pays Y. Le connaissement est soumis aux Règles de La Haye-Visby et vise à exclure la responsabilité (a) du capitaine et de l’équipage; (b) des manutentionnaires qui chargent et déchargent la cargaison; et (c) des propriétaires de navires sur lesquels les marchandises peuvent être transbordées. Ces exclusions produiront leurs effets.

Le présent article couvrirait également une autre situation dans laquelle le promettant et le stipulant conviennent que le bénéficiaire sera déchargé d’une obligation qu’il a envers le promettant.

Le promettant peut opposer au bénéficiaire tous les moyens de défense qu’il pourrait opposer au stipulant.

COMMENTAIRE

En vertu de l’article 5.2.1, le contenu du droit du bénéficiaire peut être soumis aux conditions ou autres limitations prévues par les parties. Le promettant et le stipulant peuvent prévoir un contrat dans lequel la situation du bénéficiaire est très différente de celle du stipulant. L’autonomie des parties est, en principe, illimitée mais elles peuvent ne pas prévoir toutes les possibilités. Le présent article constituera par conséquent la règle implicite normale.

Illustrations

1. A souscrit une police d’assurance-vie auprès de la société B en faveur de C. Le contrat prévoit le paiement de primes pendant 25 ans, mais après 5 ans A cesse de payer les primes. La situation de C sera modelée sur celle de A si la police avait été souscrite en faveur de A. De telles polices ne refusent habituellement pas la restitution des primes payées. Toutefois, si la police avait été susceptible d’être résiliée par la compagnie d’assurance, par exemple, parce que A n’avait pas fait d’importantes déclarations, alors B pourrait normalement opposer ce moyen de défense à C.

2. La société A souscrit une assurance-caution auprès de la société B pour couvrir des employés malhonnêtes. La police d’assurance prévoit que B indemnisera en totalité les clients escroqués par des employés de A et qu’elle n’indemnisera A que si cette dernière n’a pas été négligente dans le choix ou le contrôle des employés. Dans ce type de contrat, B aura évidemment des moyens de défense qu’elle pourra opposer à A, mais pas aux clients.

Les parties peuvent modifier ou révoquer les droits conférés par le contrat au bénéficiaire, tant que ce dernier ne les a pas acceptés ou n’a pas agi raisonnablement en conséquence.

 

COMMENTAIRE

Il se pourrait que le promettant et le stipulant soient libres de révoquer les droits du tiers à tout moment ou, au contraire, que les droits du tiers soient immuables une fois le contrat conclu. Il semble que peu de systèmes adoptent l’une ou l’autre de ces solutions extrêmes. La solution adoptée est que les droits du tiers deviennent irrévocables dès qu’il les a acceptés ou qu’il a agi raisonnablement en conséquence. Les parties seront évidemment libres de prévoir au contrat un régime différent, soit en interdisant la révocation des droits du bénéficiaire plus tôt, soit en préservant un droit de révocation même après que le bénéficiaire ait agi raisonnablement en conséquence. Il peut y avoir des situations dans lesquelles seule une partie aurait le droit de révocation. Par exemple, un contrat d’assurance-vie pourrait prévoir que l’assuré peut changer de bénéficiaire. Il pourrait y avoir des usages qui limitent la possibilité de révocation.

Illustration

A, principal entrepreneur dans un important contrat de construction, souscrit une police d’assurance auprès de la société B pour couvrir les dommages aux travaux en cours. La police est rédigée de telle sorte qu’elle couvre les intérêts de tous les sous-contractants impliqués au contrat et ces derniers sont tous informés de l’existence de cette police. C, sous-contractant, ne souscrit lui-même aucune assurance, mais ne le dit ni à A, ni à B. A défaut de termes clairs qui indiquent le contraire, le fait que C ait agi en conséquence rend le contrat entre A et B irrévocable.

Le bénéficiaire peut renoncer à un droit qui lui a été conféré.

COMMENTAIRE

Le système de la présente Section présume qu’en l’absence de disposition contraire le contrat entre le promettant et le stipulant confère immédiatement des droits en faveur du bénéficiaire, sans que ce dernier doive les accepter.

Bien que le tiers sera généralement heureux du droit que les parties lui ont conféré de la sorte, il ne peut être forcé de l’accepter. Il s’ensuit que le tiers peut renoncer à ce droit, de façon exprès ou implicite.

Cependant, lorsque le bénéficiaire a entrepris une action qui correspond à une acceptation, il ne devrait normalement pas pouvoir renoncer.

Illustration

En reprenant les faits indiqués dans l’Illustration à l’article 5.2.5, C, sous-contractant, ne souhaite pas bénéficier de l’assurance souscrite par l’entrepreneur principal parce qu’il est déjà couvert par une assurance, et il sait qu’il y aura des difficultés si deux assurances couvrent le même risque. C peut renoncer.