La Convention d’UNIDROIT de 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés
– présentation générale –
Pourquoi une nouvelle Convention ?
En matière de revendication internationale des biens culturels, le droit commun n’apporte pas de solutions satisfaisantes, et les textes conventionnels existants ne couvrent pas, ou pas suffisamment, les aspects de droit privé de la protection des biens culturels (en particulier, c’est la protection de l’acquéreur de bonne foi par certains Etats qui constitue l’obstacle majeur à la reconnaissance internationale des règles dans ce domaine). L’UNESCO s’est donc tournée vers UNIDROIT pour élaborer un nouvel instrument prenant pour point de départ la Convention de 1970 mais bénéficiant de 25 années de réflexion en matière de trafic illicite (suite à un accroissement de la menace dans tous les pays, les Etats avaient développé une mentalité différente et une plus grande envie et nécessité de coopérer dans ce domaine).
La Convention de l’UNESCO de 1970 et la Convention d’UNIDROIT de 1995
La Convention d’UNIDROIT renforce les dispositions de la Convention de l’UNESCO de 1970 et les complète en formulant des règles minimales en matière de restitution et de retour de biens culturels. Elle garantit les règles du droit international privé et de la procédure internationale qui permettent de faire appliquer les principes inscrits dans la Convention de l’UNESCO. Les deux conventions sont donc compatibles et complémentaires.
La Convention d’UNIDROIT de 1995
Dès le début des négociations, deux blocs plus ou moins homogènes se sont affrontés. D’un côté, les adeptes de la libre circulation internationale des biens culturels et, de l’autre, les partisans d’une protection nationale du patrimoine. Les premiers voulaient restreindre le plus possible le champ d’application matérielle de la Convention et préserver la protection dont bénéficie chez eux l’acquéreur de bonne foi. Les seconds voulaient au contraire étendre le plus possible la portée du principe de la restitution des biens culturels volés ou illicitement exportés et assurer ainsi une protection internationale optimale du patrimoine culturel national. Il aura fallu six ans pour rapprocher les points de vues les plus antagonistes et aboutir à cette Convention adoptée à Rome le 24 juin 1995 lors d’une Conférence diplomatique qui réunissait des représentants de plus de 70 Etats. La Convention est entrée en vigueur le 1er juillet 1998.
Lorsqu’un musée a connaissance d’un bien culturel qu’il croit illicitement exporté du pays d’origine, il ne peut pas se porter acquéreur en raison des règles du Code de déontologie de l’ICOM. Si le bien en question est acheté sur le marché de l’art international par une personne ou une institution qui est de bonne foi, il n’existe aujourd’hui aucune autre solution que de le racheter pour l’Etat d’origine. Certains pays peuvent supporter les frais engagés pour ces achats mais de nombreux autres pays ne sont pas en mesure de dépenser cet argent pour récupérer des objets rares qui appartiennent à leur patrimoine national. Avec la Convention d’UNIDROIT, la personne ou l’institution dépossédée, ou l’Etat d’origine, pourra revendiquer le bien selon des procédures différentes selon que le bien a été volé ou illicitement exporté.
Le véritable but de la Convention n’est pas de permettre ou de provoquer un certain nombre de restitutions ou de retours, forcément relativement rares, par voie de décisions de justice ou d’accords amiables mais de réduire le trafic illicite en provoquant une modification progressive mais profonde des comportements de tous les acteurs du marché et de tous les acquéreurs.
Lorsqu’un bien culturel a fait l’objet d’un vol, la restitution est systématique. Il s’agit d’une obligation inconditionnelle s’il n’y a pas prescription. La seule question qui se pose alors est celle de savoir si une indemnité est due.
La disposition qui est peut-être la plus importante dans la Convention est l’article 3(1) qui pose le principe selon lequel le possesseur d’un bien volé doit dans tous les cas le restituer. Il ne s’agit pas de procéder à une évaluation d’ordre moral entre les deux règles: ni le propriétaire original ni l’acquéreur de bonne foi ne doivent être pénalisés, mais les deux ne peuvent être pleinement protégés. La solution choisie a donc été pragmatique: quelle règle découragerait le plus le trafic illicite? En obligeant l’acquéreur, sous peine de devoir restituer le bien, à vérifier que le bien est entré licitement dans le commerce. Cette règle, associée à la possibilité d’une indemnité pour l’acquéreur lorsqu’il prouve avoir agi avec la « diligence requise » (article 4(1), constitue une mesure juridique des plus importantes en matière de lutte contre le trafic illicite de biens culturels. L’effet sera direct sur le marché de l’art où subsiste une pratique générale qui veut que l’on ne révèle pas la provenance des biens culturels et où les acquéreurs ne sont pas trop curieux.
En fait, il est primordial d’atteindre l’un des maillons essentiels de la chaîne du trafic international de biens culturels en reconsidérant le problème de la protection de l’acquéreur de bonne foi à la lumière des principes régissant la protection du patrimoine culturel. Cette Convention permettra, si elle sera largement acceptée, de faire peser la responsabilité sur la seule personne qu’il soit le plus souvent possible d’appréhender: l’acquéreur final qui actuellement s’abrite derrière la diversité et l’incohérence des ordres juridiques pour s’approprier des biens volés ou des biens dont il ne peut que soupçonner l’origine illégale. Le principe est juste dans la mesure où le montant des sommes engagées ainsi que la particularité des biens en jeu ne laissent aucun doute quant à l’expérience du prétendu acquéreur de bonne foi. De plus, la recherche d’une méthode plus efficace passe par la reconnaissance du principe suivant: toute offre est inexorablement liée à une demande, et ce n’est qu’en tentant de réprimer le trafic, comme pour la drogue, à tous les stades du commerce illicite que l’on peut espérer obtenir des résultats efficaces.
A l’argument avancé par les pays exportateurs selon lequel le propriétaire dépossédé n’a pas toujours les possibilités financières pour pouvoir indemniser l’acquéreur de bonne foi, au risque de ne pouvoir récupérer le bien, on peut répondre que la Convention parle d’indemnité « équitable » et non pas de remboursement du prix payé et que les critères de la « diligence requise » sont tels (article 4(4)) qu’il sera toujours plus difficile aux possesseurs de prouver qu’ils ont agi avec une telle diligence et donc de prétendre à une indemnisation.
Le retour après une exportation illicite est quant à lui soumis à une condition, celle d’une atteinte significative à un intérêt scientifique ou à la constatation que le bien culturel revêt une « importance culturelle significative ». Seul l’Etat d’où le bien est sorti illicitement – la Convention considère illicitement exporté un bien exporté temporairement pour une exposition et non retourné conformément à l’autorisation délivrée – pourra ici agir.
La Convention de 1970 représentait la première tentative sérieuse au niveau international de réponse au problème mais l’obligation des Etats parties d’assurer le retour des biens culturels illicitement exportés aux pays d’origine était fortement limitée par l’article 7. La Convention d’UNIDROIT ira bien au-delà en demandant le retour des biens culturels au pays d’origine dans des cas bien plus nombreux.
Comme il s’avérait pratiquement impossible de déterminer les interdictions d’exportation qui seraient reconnues et appliquées, les rédacteurs de la Convention ont finalement choisi une série d’intérêts que tous les Etats estimaient devoir être protégés (article 5(3)). La Convention ne reconnaît pas les interdictions nationales d’exportation motivées par des considérations politiques ou économiques, et exige une atteinte qualifiée à des intérêts surtout culturels, mais aussi scientifiques ou historiques. Il convient toutefois de noter que cette liste des intérêts n’est pas exhaustive car chaque Etat contractant conserve la faculté d’appliquer des règles plus favorables au retour d’un bien culturel illicitement exporté que celles prévues par la Convention (cf. article 9) et en l’occurrence de tenir compte d’autres intérêts que ceux prévus par l’article 5.
En cas de transmission des biens culturels volés ou exportés de façon illicite par héritage ou succession, le bénéficiaire est soumis aux mêmes obligations que le possesseur de bonne foi qui aurait acquis le bien par cession. Cette question est d’importance notamment dans la pratique muséale puisqu’il n’est pas rare que des particuliers fassent à des musées ou à des institutions similaires des donations ou des legs dont l’origine peut être douteuse.
Il est important de signaler également un autre type de biens culturels couverts par la Convention, les biens archéologiques issus de fouilles qui ne sont couverts par la Convention de 1970 que par l’interprétation que donnent certains Etats à son article 9. La Convention d’UNIDROIT envisage quant à elle la possibilité d’intenter une action sur la base des dispositions relatives soit au vol soit à l’exportation illicite: elle assimile un tel bien à un bien volé « si cela est compatible avec le droit de l’Etat où lesdites fouilles ont eu lieu » (article 3(2)) ou encore contient l’article 5(3)(a), (b) et (c) qui s’appliquent aux biens issus des sites archéologiques. Le choix de la procédure se fera notamment en fonction de la difficulté de la preuve à apporter (que le bien est issu de fouilles ou qu’il a été illicitement exporté).
Certaines autres règles de la Convention montrent bien combien le compromis atteint prend en compte les différentes préoccupations légitimes. Il s’agit d’une part du besoin de sécurité juridique des acteurs du marché, des collections publiques et privées. Ce besoin est satisfait par l’exigence du paiement de l’indemnité lorsqu’elle est due ou encore par la clarté de la clause de non rétroactivité (article 10). En effet, les rédacteurs de la Convention sont parvenus à une solution qui pose le principe général (paragraphes 1 et 2) selon lequel la Convention ne s’appliquera qu’aux biens culturels volés après l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de l’Etat où la demande est introduite, et aux biens illicitement exportés après l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de l’Etat requérant et de l’Etat où la demande est introduite. Mais le paragraphe 3 précise que la Convention « ne légitime aucunement une opération illicite (…) qui a eu lieu avant l’entrée en vigueur de la Convention » et n’exclut aucune autre action intentée en dehors du cadre de la Convention.
Ce besoin de sécurité juridique est également satisfait par l’application de la prescription relative courte. Celle-ci est de trois ans à compter du moment où le demandeur a connu l’endroit où se trouve le bien et l’identité du possesseur (solution applicable même aux collections publiques et assimilés qui pourront être imprescriptibles).
D’un autre côté le texte prend en compte les intérêts matériels et moraux des Etats « exportateurs » et plus généralement des collections publiques (dont l’article 3(7) donne une définition autonome au sens de la Convention), des institutions religieuses et culturelles, de la protection du patrimoine archéologique et monumental par la création d’un bloc de biens culturels soumis à une prescription particulièrement longue (75 ans) ou même l’imprescriptibilité. Le même régime exceptionnel s’étend aux biens sacrés ou revêtant une importance collective pour les communautés autochtones. Il s’agit là de la marque d’un dialogue plus équilibré entre toutes les cultures.
Enfin, la disposition qui prévoit des « efforts raisonnables » pour imposer le paiement de l’indemnité aux responsables du trafic illicite plutôt qu’aux propriétaires ou aux Etats demandeurs va également dans le sens (art. 4(2)) de la prise en compte des intérêts des Etats exportateurs.
Le texte de la Convention d’UNIDROIT est le résultat d’un compromis, et comme tout compromis, il ne satisfait pas pleinement les préoccupations de chacun, mais un examen attentif de la Convention montre qu’aucune partie concernée par la Convention ne devra en pâtir de façon injuste. Cette Convention traduit des efforts véritables déployés par des juristes pour combiner justice et réalisme et pour essayer autant que faire se peut, d’établir une base pour les années à venir. L’expérience prouve cependant qu’il est une chose d’adopter une Convention internationale, et une autre de garantir son application effective. Il faudra donc maintenant répondre aux inquiétudes légitimes de certains mais il serait dramatique que cet effort ne fût pas compris par ceux qui s’intéressent au patrimoine ou ont des responsabilités de conservation et de protection des biens culturels.